Nuit Blanche,Pierre Gutwirth,

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Absences

 


Benjamin, sans relâche, tentait de comprendre quelles avaient pu être les raisons ayant amené l'adolescent, auquel tout souriait, à choisir le royaume des ténèbres. Il ne s'écoulait pas une seule minute sans que ses pensées ne fussent détournées vers cette éngime douloureuse, pas une seule heure sans ébaucher les théories les plus folles, pas une seule journée sans s'interroger sur le bien-fondé de sa propre survie. Entre feu son père auquel il voulait tant ressembler et feu son fils à la cheville duquel il ne parvenait à se hisser, pris en tenaille par ces deux géants, son espace intellectuel se résumait à une remise en question de sa propre raison d'être.

 



Obsédé toutefois par le besoin de comprende ce qui avait été la démarche de l'adolescent secret, ne souhaitant pas mourir dans cette ignorance, avait-il décidé de ne céder à aucune tentation morbide tant que le voile ne serait levé et qu'à ses questions légitimes de père et que le deuil avait rendu orphelin il trouverait des réponses susceptibles de le satisfaire.

Ainsi, porté par l'espoir sourd d'y voir enfin plus clair, balloté entre volonté et résignation, joie et indifférence, acharnement et fatalité, son humeur était-elle devenue fort variable et ses réactions imprévisibles. Un rien le remplissait de joie, le hissant vers les sphères les plus élevées et, aussitôt après, le précipitait vers les oubliettes les plus profondes, le faisant ainsi basculer de la lumière la plus vive aux ténèbres les plus obscures.

Cela ne passa pas inaperçu au sein de son entourage qui s'en inquiéta puis, au fil du temps et comme un fait exprès, s'y acclimata.

A la fois prisonnier de ses pensées qu'il traînait comme autant de fers et mû par l'ambition insensée de comprendre ce que les meilleurs spécialistes de l'inconscient se révélèrent incapables d'expliquer, persuadé qu'il trouverait, au bout de cette longue route, la réponse ultime qui allait transformer l'inexplicable en compréhensible et le doute en certitude, il se préparait à une folle équipée, sans commencement, mais avec une fin.

Il emporterait, pour tout bagage, son athéisme. Il se munirait, pour toute canne, de son album de photos mentales comme le pélèrin emporte son bâton. Ainsi équipé, encore allait-il devoir trouver le courage de mener jusqu'au bout une odyssée de l'impossible.

Benjamin sentait au fond de lui, sourdre une volonté nouvelle qui l'incitait à quitter sa maison du malheur, douloureuse et confortable, tout à la fois, de prendre de la distance, de découvrir une respiration toute neuve, de se livrer aux embruns roboratifs d'un océan encore inconnu et de retrouver, sur un rivage complaisant, les traces de Gaëtan dans lesquelles il moulerait sa propre démarche afin de suivre le même chemin, de remonter jusqu'à lui et de le retrouver, le pistolet sur la tempe, durant cette ultime minute terrestre au cours de laquelle tout s'éclairerait, enfin....

 

Paru aux Editions Pierre Philippe (GE)