Les Valets de Nuit, Marie-Jeanne Urech

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Résumé

 

 

A l’ombre des hauts fourneaux éteints brille une veilleuse devant la maison de la famille Chagrin. Le souffle du commissionnaire menace de l’éteindre à tout moment, si les traites ne sont pas honorées.


La spirale des commandements de payer entraîne Nathanaël, le père, à travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; la mère, Rose Chagrin née Chance, à entamer une cure de vitamines ; les enfants, Yapaklou et Zibeline, à cacher leurs jouets dans un distributeur de frites ; Séraphin, probablement le grand-père, à partir à la recherche de l’Homme noir ; Philanthropie, à absorber des tranches de schnitz sous l’œil bienveillant de ses deux anges gardiens. Et dans la nuit où s’éteignent chaque soir des dizaines de veilleuses, les tours de verre, qui dominent orgueilleusement la ville, regarderont croître leur patrimoine.

 

 

 

Extrait

 

 

La silhouette du commissionnaire s’approcha de la fenêtre givrée, le visage soudain morcelé par la lueur des bougies d’un gâteau d’anniversaire. Une petite fille fêtait ses cinq ans. Entourée de son frère, de ses parents et d’un vieillard, peut-être le grand-père, prostré devant un interrupteur qu’il observait d’un œil inquiet. Il y avait encore dans cette pièce une femme énorme dont les plis de la chair s’étalaient sur le canapé comme un paysage au relief délicieusement vallonné. Deux anges gardiens veillaient sur ses rondeurs en l’éventant de leurs longues plumes blanches. Elle chantait d’une voix puissante et toute la famille l’écoutait, émerveillée, pendant que se consumaient les cinq premières années de la petite.

A travers la fenêtre givrée, le commissionnaire regardait cette scène comme l’on observe une dernière fois un tableau avant de le recouvrir d’un drap.

La petite souffla les bougies. Pareilles à un jeu de dominos, s’éteignirent une à une les lumières de la rue. Et puis celles de toutes les rues, des aciéries, des églises, de la gare de triage, des ponts à bascule, du port et même la lanterne du phare, infime signe de vie au milieu des eaux glacées du lac. Seules les immenses tours de verre, qui dominaient orgueilleusement la ville, brillaient encore d’un éclat que même la lune n’aurait osé leur disputer.

Publié  aux Editions de l’Aire