L'impôt heureux, Pascal Broulis

|||

 

Chapitre « impôts archaïques » (extrait)

 

 

Les naturalisés rentables de Vugelles-La Mothe

 

Commune vaudoise d’à peine plus de cent habitants, Vugelles- La Mothe avait trouvé des revenus « extérieurs » originaux. Elle naturalisait sans faire d’histoire les candidats à la nationalité suisse qui se trouvaient dans la situation kafkaïenne d’avoir l’autorisation fédérale de briguer un passeport suisse, mais pas celle de leur commune de domicile. Le « coup de main » avait un prix : 7% du revenu du candidat. Ce qui, dans les années quatre-vingt et avec sept à huit naturalisations par an, rapportait quelques dizaines de milliers de francs à la commune. Pas négligeable pour un petit village, mais conçu comme la compensation d’un risque. Si le nouveau citoyen devenait indigent, il pouvait demander à son lieu d’origine de s’occuper de lui. En 1989, la lacune légale a été comblée : les étrangers ont été obligés de faire leur demande de naturalisation dans leur commune de domicile.

 

 

 

Chapitre « Contourner l’impôt » (extraits)

 

 

Au début des années 2000, toute l’Allemagne a su où se trouvait Norderfriedrichskoog. Pas pour son nom imprononçable, mais parce que ce minuscule hameau (47 habitants) situé près du Danemark a brièvement concentré la fine fleur des sociétés du pays. Au bénéfice d’un privilège féodal déjà concédé à l’époque par pitié de son dénuement, il ne prélevait pas la taxe professionnelle qui mange 12 à 15% des bénéfices des entreprises allemandes. Ce qui n’intéressa personne, jusqu’à ce qu’internet se charge, sinon d’abolir les distances, du moins de véhiculer rapidement d’énormes quantités de données. Les boîtes aux lettres au nom de Deutsche Bank, Unilever, Lufthansa ou Deutsche Telekom se mirent alors à fleurir dans le village. Et des milliards virtuels se mirent à passer par les ordinateurs des quelques employés logés dans les moindres recoins du village. Le subterfuge était toutefois trop gros. Berlin trouva rapidement une parade à ces délocalisations aussi fictives que coûteuses pour l’Etat. Les sociétés repartirent aussi vite qu’elles étaient arrivées, et Norderfriedrichskoog retomba dans sa torpeur.



 

La tondeuse de Tibère

 

 

Quand Rome régnait sur le monde antique, les tributs des provinces étaient une des principales sources de revenus de l’Empire. Aux gouverneurs qui le pressaient d’augmenter ces impôts, l’empereur Tibère répondit : « Le devoir d’un bon berger consiste à tondre son troupeau, non à l’écorcher. » Seize siècles plus tard, Jean de La Fontaine changeait d’animal et écrivait La Poule aux Oeufs d’Or, mais la morale restait la même : « Combien en a-t-on vu qui sont devenus pauvres pour vouloir trop tôt être riches. »



 

Postface

 

 

Mais pourquoi « l’impôt heureux », m’ont demandé, surpris par mon titre, les premiers lecteurs de ce recueil d’anecdotes ? J’ai répondu spontanément : « Parce que c’est son but. » Et j’aimerais qu’on n’y trouve ni forfanterie, ni provocation, ni béates illusions sur la conduite des finances publiques.

La juxtaposition de ces deux mots me paraît simplement un bon résumé d’une organisation sociale réussie. L’impôt heureux est celui qui rentre sans contrainte et s’utilise dans la concorde. Il représente l’attention que porte la collectivité à tous ses membres, du plus humble au plus puissant, et la responsabilité que chacun d’eux endosse vis-à-vis de cette collectivité. Dans sa brièveté, dans la collision qu’elle propose, l’expression dessine le portrait d’une société épanouie et qui vit bien, où l’impôt se révèle un puissant facteur de sécurité et de stabilité. Une société dont la cohésion est grande et dont les maillons se complètent. La fiscalité n’y tue pas l’esprit d’entreprise, le développement économique n’y traîne pas le boulet d’abyssales dettes d’Etat.

C’est un idéal, que je décris là ? Sans doute. J’aime croire qu’on peut y tendre sans naïveté, en utilisant la force du débat démocratique, en étant en alerte, en corrigeant ce qui peut l’être à petits coups de barre, sans brusquerie ni irrespect.

Et avec le sourire. L’impôt heureux, c’est aussi le plaisir que j’ai pris à rassembler toutes ces petites histoires et à les raconter. Jubilatoires, instructives, surprenantes, sentencieuses même, elles m’ont offert un peu de distance avec une matière que je tiens par ailleurs pour éminemment sérieuse et importante. Mais les choses sérieuses ne gagnent-elles pas, justement, à être abordées avec un peu de légèreté ?

Pascal Broulis



Plus d'informations sur l'auteur, site internet: www.pascalbroulis.ch