Crier sous la Vague, Laura Gamboni

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Résumé

 

 

Aliénor a trente ans lorsqu’elle perd sa mère, avec laquelle elle entretenait une relation exclusive et étouffante. Aussitôt, un bilan cruel s’impose : jamais Aliénor n’a réussi à parvenir à la hauteur de cette intellectuelle brillante. Elle est insatisfaite et honteuse de la vie qu’elle mène, incertaine sur ses aspirations, ses désirs, ses capacités propres.


Le roman retrace la vie intérieure de cette jeune femme, et des quelques personnes qui l’entourent, durant l’hiver suivant le décès de sa mère. Douleur, culpabilité, frustration se mêlent à la pression de rester forte, de s’en sortir, de faire enfin quelque chose de sa vie. Scènes du quotidien, souvenirs et rêves se mêlent et révèlent peu à peu un passé complexe. Aliénor sombre dans la dépression. Toute la tension du roman réside dans cette interrogation : réussira-t-elle à échapper à l’ombre pesante de sa mère et à ses propres contradictions, parviendra-t-elle à suivre les rares moments de plénitude qui s’offrent à elle, trouvera-t-elle une voix qui lui soit propre ? Ceux qui l’aiment pourront-ils l’aider ?

 

 

 

 

Extrait

 

 

 

Une centaine de personnes. Outre les quelques proches – Mireille et son étreinte envahissante, Thomas les yeux fuyants – beaucoup de membres de l’Université. Tous empreints du même silence respectueux qu’ils affichaient lors de ses conférences. La professeure la plus renommée de l’Institut d’histoire médiévale, ils l’ont certifié en présentant leurs condoléances à Aliénor. Et rien n’entache la gravité de leur expression : ni le passage incessant des voitures, ni le discours plat, inadéquat, crétinisant du prêtre.

Toutes les dix minutes, le crissement du métro lui rappelle qu’elle longeait ce cimetière chaque jour, quand elle était étudiante. Délimité d’un côté par la route de Chavannes et de l’autre par la route du Chablais, il étale son kilomètre de gris et de vert dans l’enceinte d’une haie taillée en muret. Un supermarché mortuaire. Au loin, le lac n’est qu’un coin d’eau morne étouffé par une masse de nuages. Eric, très élégant dans son ensemble Gucci noir, la tient par l’épaule. Sa main pèse lourd sur son dos bas, livré. Aliénor sent les regards tour à tour convergents : alors c’est elle, la fille d’Eliane Converset ? Elle devine leur attente : elle ne pleure pas ?

Elle convoque la présence maternelle. Souvenirs d’enfance, de vacances, de colloques, souvenirs – déjà – de maladie. Elle convoque sans sursaut. Je m’en sortirai, je le sais. Eric renforce la pression de ses doigts. Elle se redresse. Savoir rester digne, en toute circonstance. Docile et sèche, enfoncée en elle-même, elle contemple la fosse. Ici lui sont volés les bras et les mains des caresses, le ventre origine. Ici s’éteint sa voix. Et elle devrait pleurer ? Soulèvement de dégoût. C’est son ventre, son vagin, sa poitrine qu’elle enterre dans ce trou.


Crier sous la vague, Laura Gamboni,  Editions de l’Aire