A fleur de nuage, Danielle Berrut

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Comment résumer 25 histoires ? Peut-être en mentionnant quelques thèmes. En introduction, il y a l’histoire d’un enfant qui se console des déboires de sa vie en grimpant sur les arbres, en grimpant très haut, toujours plus haut… d’où le titre du recueil.

 

 

Autres thèmes récurrents

 

 

la nature, omniprésente et toute puissante
des êtres solitaires, souffrant en silence, avant que n’éclate leur révolte
d’étranges visiteurs nocturnes, mendiants, anges ou revenants
des chalets isolés et abandonnés, entourés d’inquiétantes rumeurs
des « indigènes » aux prises avec leur passion pour de belles « étrangères »
des fêtards ou des marginaux, souvent pris au piège de leur propre défi
des paysans attachés à leur terre et jaloux de leur mode de vie
des événements étranges, inexplicables
la coexistence d’une religion officielle, le catholicisme, et de croyances primitives
 

 

 

 

Extraits

 

 

Extrait de "L'étranger de passage"
Ils en étaient peut-être là dans leurs réflexions quand ils entendirent deux coups légers contre la porte. Qui venait en visite à cette heure ? Y avait-il eu un malheur chez un des frères qui vivaient dans la vallée ? La jeune femme eut un mouvement de recul. Elle ne pouvait pas se montrer ainsi : les cheveux déliés sur les épaules, les ongles malpropres et les habits malodorants. Mais son frère s’était déjà approché de la porte d’un pas tranquille pour l’ouvrir. Attends ! Elle tenta de le retenir. Trop tard, la porte s’entrouvrit et il apparut.

Grand, un peu maigre, le col remonté, il semblait avoir peur. Armand le fit entrer sans histoires, le conduisit vers la table et lui présenta un tabouret. L’homme, surpris d’être accueilli aussi spontanément, se détendit un peu et sourit. Et ce sourire métamorphosa complètement son apparence. Son regard noir s’illumina subitement, son teint, excessivement pâle, se colora légèrement, tandis que l’éclat de ses dents admirablement alignées éclaira la pénombre. Une barbe de quelques jours affirmait la virilité d’un visage peut-être trop efféminé sans cela et ses cheveux, d’un noir profond, se partageaient en deux vagues amples qu’il repoussa en arrière d’un geste élégant. La jeune femme repensa à ses ongles. La main qu’elle venait d’entrevoir était fine et nerveuse, la peau blanche et les ongles soignés.

Armand qui se chargeait des courses au village était mieux informé que sa sœur de l’actualité et il savait qu’en ces temps troublés, beaucoup de réfugiés étaient sur les routes. Aussi évita-t-il toute question, pensant que moins il en saurait, mieux cela vaudrait. Sans autre forme de procédé, il mit le pain au milieu de la table, alla chercher un morceau de fromage au « cavon » tandis que sa soeur, revenue de sa stupeur, ralluma le feu sous la bouilloire pour préparer du café.

Enfin Armand s’assit en face de l’étranger. Sa soeur s’emmitoufla dans une jaquette et s’approcha de la cheminée pour se réchauffer. On n’était pourtant qu’en août, mais plusieurs jours de pluie avaient refroidi l’atmosphère et une brume insistante annonçait l’automne.

- Votre accueil me touche, dit l’homme. Je me suis égaré dans la montagne et j’ai pensé que vous pourriez m’indiquer un itinéraire sûr pour traverser la frontière.

Une voix harmonieuse, une articulation claire et aisée… ces quelques mots dénotèrent immédiatement la bonne éducation du jeune homme et son origine citadine. Armand qui connaissait chaque sentier, chaque pierrier, chaque fourré de la vaste combe qui entourait le chalet, se montra sceptique. L’entreprise lui paraissait hasardeuse et il conseilla d’attendre le matin, car l’obscurité camouflait les nombreuses anfractuosités de la région qui lui avaient valu l’appellation de «Grands Creux». Il proposa donc au jeune homme de l’héberger pour la nuit et de le guider jusqu’au col aux premières lueurs de l’aube.





Extrait du récit « Le Cri»

C’est alors que retentit le cri. Surgi de la profondeur de ses entrailles, il lui taillada les viscères, lui écartela les côtes, transperça son cœur et ses poumons, échancra sa gorge pour se jeter tout vif contre la façade en bois et s’engouffrer dans la gueule obscure du chalet. Dans l’obscurité, il rebondit d’un mur à l’autre, s’écorcha aux épines des charpentes, se déchira dans les fentes du bois vermoulu, ricocha contre un montant de porte en arrachant fils et débris divers, se précipita sous la toiture branlante, cherchant désespérément une issue, puis s’engouffra dans l’entonnoir de la cheminée en soulevant des parcelles de suie. Parvenu à l’air libre, il tournoya en sifflant au-dessus du toit percé, s’éleva le long des versants montagneux, effrayant oiseaux et chamois, se lança à l’assaut des falaises géantes qui unirent leur écho à sa force, semant la terreur dans toute la montagne, et alla enfin buter contre le ciel.