L’Enfant du placard,Tiffany Jaquet

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L’enfant du placard

 

Tiffany Jacquet, roman Plaisir de Lire, 2016

 

 

 

De tout temps les hommes ont migré. Dans les années 60, par exemple, des milliers d’Italiens ont fait de la Suisse leur terre d’asile. Et même si leur situation n’était pas aussi difficile que celle des immigrés d’aujourd’hui, ces hommes et ces femmes venus de l’étranger, on bel et bien dû s’adapter à nos régions, nos us et coutumes, notre langue et notre mentalité. Ils ont accepté un travail dur, se sont contentés d’un salaire parfois médiocre et se sont souvent heurtés à un racisme évident de la part de certains. Ils sont toutefois restés optimistes et courageux.

Dans son roman, Tiffany Jacquet nous livre avec précision et finesse les embûches et les crève-cœur rencontrés par ceux qui, à une époque, ont fait la Suisse. A travers l’histoire d’un jeune couple d’Italiens, Tatiana et Enzo, elle retrace ce que beaucoup ont vécu dans ces années d’exil volontaire. A la naissance de leur fille Maria, qui ne peut rester en Suisse, ils prendront une décision invraisemblable. Décision qui changera totalement le destin de l’enfant.

L’auteure nous entraîne dans un récit émouvant de par le déracinement des héros. Cependant, même si le bonheur n’est pas toujours au rendez-vous, l’espoir et l’amour sont toujours les plus forts. Une certaine sérénité nous accompagne alors tout au long de la lecture.

Une histoire presque classique mais attrayante, des mots simples mais touchants, un dénouement beau et inattendu, tout pour faire un bon roman. <

Recension: Marylène Rittiner


Extrait, pages 83-84

Cela faisait plusieurs mois que les autorités italiennes étaient en pourparlers avec le gouvernement suisse afin que trouver des solutions équitables et favorables à tous concernant l’émigration des travailleurs italiens. Mais le débat était impossible à suivre, car les avis changeaient de semaine en semaine. Heureusement, Enzo et Tatiana avaient l’attestation demandée et ils tentèrent de se frayer un chemin à travers la foule en colère. Maria était confortablement installée contre le sein de sa mère, enveloppée dans sa veste.

Alors qu’ils passaient le dernier contrôle leur permettant de monter dans le train en direction de Lausanne, Tatiana fut arrêtée par un homme en uniforme.
- Les enfants n’ont rien à faire ici, beugla-t-il en montrant Maria de son doigt squelettique.
- C’est notre fille et ma patronne est d’accord pour qu’elle habite avec nous, répliqua Tatiana, la voix tremblante.
- A moins que votre patronne soit présidente de la Confédération, ce n’est pas à elle de décider qui peut venir vivre dans notre pays, rétorqua le garde-frontière, les mains sur les hanches, barrant le passage au couple.
- Notre fille est née en Suisse l’été passé et personne ne s’est jamais plaint, se défendit Enzo en passant son bras autour des épaules de sa femme.

Tatiana priait en son for intérieur pour qu’ils ne soient pas séparés. L’officier resta muet quelques secondes et les dévisagea de haut en bas d’un air méprisant.

C’est le moment que choisirent deux immigrants pour tenter de s’infiltrer illégalement dans le train pour la Suisse. Des gardes-frontière s’interposèrent pour les arrêter et déclenchèrent de surcroît un début d’émeute. L’officier qui barrait toujours le passage d’Enzo et Tatiana jetait des coups d’œil en direction de ses collègues et semblait hésitant.

- Ça ira pour aujourd’hui, finit-il par aboyer. Vous avez de la chance que tous les trains pour l’Italie soient surchargés. Mais je ferai un rapport à mes supérieurs. Si vous croyez que vous pouvez venir vous installer dans notre pays avec tous vos marmots et toute votre famille, et que vous pouvez nous prendre nos logements, notre nourriture et notre travail sans rien donner en retour, siffla-t-il entre ses dents, avant de s’éloigner la main sur sa matraque en direction des troubles.

Tatiana et Enzo quittèrent le poste-frontière et montèrent au plus vite dans le train. Jamais on ne leur avait parlé comme cela auparavant.


 

L'auteure

 

Née à Morges en 1989, Tiffany Jaquet est enseignante de français et d’anglais. L’Enfant du placard est son premier roman. Sa source d'inspiration est un documentaire racontant l'immigration des Italiens dans les années 60.