Patricia Rosseló, Noël au pays des glaces

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L'auteure de ce petit conte de Noël est hypnothérapeute, praticienne en thérapie symbolique, kinésiologue, animatrice d'ateliers d'écriture et auteur de contes thérapeutiques. Elle anime notamment des ateliers d'analyse de rêves.

 

 

 

Noël au pays des glaces

 

 

« C’est bizarre, je n’entends rien. On dirait que la vie s’est arrêtée. Et puis, j’ai froid aux pieds ! »

Contrarié, je me retourne sous mes couvertures et me demande l’heure qu’il est. Dans la maison, tout le monde dort. Puisque je suis réveillé, je me lève et plaque mon visage contre la fenêtre.
« Ça alors, tout a disparu ! »

Au dehors, on ne distingue plus la route des jardins. C'est comme si un gros édredon blanc recouvrait la terre.
« Hiberne-t-elle en hiver ? Si seulement je pouvais être le premier à faire un pas dans cette blancheur immaculée. »

Bien calé dans son fauteuil, un léger rictus au bord des lèvres, Félicien se remémore les instants magiques de son enfance. Il se souvient de ces élans d’antan qui l’habitaient la veille de Noël. Le vieil homme laisse ses pensées s’incruster dans les ronds de fumée s’échappant de sa pipe. Chaque rond est une bulle dans laquelle prennent formes les images de son esprit.

Alors que l’hiver se forge dans le Palais des glaces et que la Nature n’a d’autre idée que de s’embellir, Félicien sombre dans l’univers des songes. Des elfes, après avoir découpé, taillé et sculpté les petits flocons de neige, sont heureux. Ils peuvent enfin les répandre sur la ville. Ce qu’ils aiment par-dessus tout est lire la joie sur les visages émerveillés des enfants lorsqu’ils découvrent, au petit matin, leur quartier métamorphosé.

Vous ne le savez peut-être pas, mais là-haut, près de la voie lactée, existe un palais bien particulier. Les flocons de neige y sont façonnés à la main avant d’être envoyés sur la terre. Le travail s’effectue sous la conduite de celle que l’on nomme la Sirène blanche. Son palais est entièrement de glace, de neige et de givre. Le Grand Mage lui, guide les petits elfes et veille sur leur équilibre. Dans le Palais des glaces, tout y est menu et grandiose à la fois. Des ours polaires gardent les portes pour que le froid ne s’échappe pas. Les colonnes de glace, rondes et lisses, soutiennent l’édifice. Elles s’élèvent jusqu’au sommet d’une coupole de verre transparent et d’une pureté irréprochable. Le firmament s’y révèle dans toute sa splendeur. Des millions d’étoiles scintillent. A l’intérieur, tout est blanc et luminescent. Le sol de la cour ressemble à une banquise au bout de laquelle se trouve un bassin d’eau ni totalement liquide, ni totalement gelée. La Sirène blanche aime s’y prélasser. Tandis que le mouvement de l’eau berce son corps, accoudée à la banquise, elle caresse et dorlote les petites hermines blanches. Et quand elles ne gambadent pas dans les nuages, elles se laissent chevaucher par les elfes qui les utilisent comme montures. D’ailleurs, il n’est pas rare de surprendre un elfe à cheval sur une hermine traversant comme une fusée les couloirs du château.

La Sirène blanche incarne la bonté et l’intelligence. La pureté de son âme n’est plus à démontrer. D’ailleurs, tout ici est fait à son image. Parfois, la Grande Dame visite d’autres galaxies situées à quelques mois lumière de sa résidence. Lorsqu’elle doit s’y rendre, elle fait atteler des traîneaux qui s’élancent dans le ciel, tirés par de magnifiques loups blancs. Le portail de son palais est d’argent, les ornements au plafond, des stalactites. Des bougies éclairent la salle à manger lorsqu’elle reçoit des invités. Leurs flammes sont sculptées dans des stalagmites et calquées sur la lueur des étoiles. Batailles de boules de neige, courses de patins, concours de sculptures, glaces à l’eau pour les goûters, dégustation de poisson cru, occupent les récréations fréquentes et ponctuent le travail des elfes qui aiment beaucoup s’amuser. De loin, le soleil reste attentif à leur activité. Il ne peut s’approcher trop près sinon le monde dans lequel vivent les elfes disparaîtrait et construire ou reconstruire l’hiver n’est pas une mince affaire. Maintenant que les flocons sont prêts à être saupoudrés sur les grands arbres et la ville, les elfes les portent jusque dans la salle la plus froide du palais. Là, ils sont récoltés dans des vases transparents et les petits hommes attendent le moment opportun pour les déverser sur la terre. On ouvre alors les baies du palais pour permettre au froid de se répandre. Le givre saisit chaque brindille, chaque détail et par milliers, les flocons se mettent à danser dans le ciel.

La sonnerie du téléphone retentit. Aussitôt les ronds de fumée émis par la pipe de Félicien se dissipent et les images contenues dans les bulles s’évanouissent. Le vieil homme oublie tout des instants magiques et s’avance vers l’appareil avant de décrocher.
« Oui, bien sûr. Mais non, je n’ai pas oublié. J’arrive. Mais vous savez ce que j’en pense moi de vos Noël. »

Contrarié, Félicien enfile ses habits. Le moment redouté est arrivé. Ses petitsenfants et ses enfants l’attentent pour réveillonner et célébrer Noël. Dehors, il fait déjà nuit.
« Noël, Noël, quelle plaisanterie ! Personne n’y comprend rien à Noël. La seule chose qui les intéresse est de dépenser leur argent à qui mieux-mieux. Il y a longtemps que personne ne croit plus à rien. Moi, Noël vécu comme ça, ça met ma barbe en pétard ! »

Mettant son poing dans la poche, Félicien attrape son manteau, enroule son écharpe autour du cou, chausse ses bonnes vieilles chaussures et passe le seuil du petit portail. Pendant qu’il marche, la neige crisse sous la semelle de ses chaussures. Les flocons s’aplatissent sous le poids de son pas quand, tout à coup, un elfe tombe brusquement du ciel. Juste là, à dix pas devant lui. Félicien pense d’abord à une étoile filante, mais si bas…
« Ca alors ? Mais qu’est-ce que c’est ? »

Il s’approche de l’elfe qui tremble de tout son corps. Jamais l’elfe n’a vu d’humains et avec tout ce qu’on lui a raconté à leur sujet, il craint avoir été propulsé dans le pays de quelques vilains ogres. Affolé, il veut prendre ses jambes à son cou mais dans la haute neige ou plutôt à cause de sa petite taille, il ne parvient pas à bouger d’un iota. Le vieil homme touche l’elfe du bout de sa canne pour épousseter la neige qui recouvre son drôle de petit manteau, ses pompons, les grelots au bout de ses bottines et même le bout de son nez retroussé. Le vieillard remit de sa surprise, s’adresse à l’elfe, d’une voix posée.
- Ne crains rien. Je ne vais pas te faire de mal. Mais tu vas devoir me raconter d’où tu viens.

L’elfe, rassuré, hoche la tête pour acquiescer. Le vieil homme s’empare du petit homme par le col de son manteau et malgré ses protestations, l’assoit dans le creux de sa main.
- Comment t’appelles-tu ?
- Cristo.
- Moi c’est Félicien. Que t’est-il arrivé ?
- Je déversais les derniers flocons lorsque je me suis pris les pieds dans les lacets d’un patin qui traînait « à terre ». Excusez-moi, je veux dire «à glace». Je me suis mis à voltiger avec les flocons et j’ai atterri à vos pieds. - Mmh, dit Félicien. Ne restons pas là. Ce soir, je sais où t’emmener. Le vieil homme, l’elfe dans le creux de la main, se dirige vers la maison de sa fille et de son gendre où l’attendent sa famille et ses trois petits enfants. A peine la porte ouverte, il avance jusqu’au salon et, tout joyeux, leur montre son nouvel ami.
- Regardez, je vous amène un invité !

Tous, émerveillés à la vue de Cristo, l’entourent et lui souhaite la bienvenue. Ce soir, personne n’a pensé à la multitude de cadeaux. Félicien passe enfin le réveillon dont il rêvait depuis longtemps. Il est rassuré, sa famille est encore capable de se concentrer sur l’essentiel.


Auteur : Patricia Rosselló, 24, rue Joseph-Girard, CH-1258 Perly
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